La question de la production de l'agir commun est au centre de cette intervention. Elle réinterroge par l'image animée des approches classiques en sociologie qui vise à expliquer, classer des individus (par genre, PCS, statuts professionnels, classe d'âge), des manières d'être et de faire dans des univers qui seraient a priori identifiables et déterminants pour l'analyse sociologique. Il s'agit de se décaler de ces perspectives qui peuvent appauvrir les processus de construction de la connaissance.
La proposition éclaire, par l'étude de réunions de collectifs associatifs, les processus de production de l'agir en commun au travail dans des communautés d'alimentation viable (Maurines 2019). Cet agir en commun contribue par des innovations portées par les acteurs et actrices concernées montre qu'il est nécessaire quand la recherche porte, comme dans le cas présenté ici, sur des alternativités sociales, de se décaler des classements et catégories préformés.
Mon propos, part d'un cas concret, que je présente par une vidéo de 10 minutes sur un projet de mutualisation entre deux associations d'alimentation viable qui sont membres du Pole Territoriale de Coopération économique sur l'alimentation -le BOL- de l'agglomération lyonnaise. Il s'agit de revenir concrètement à ce que l'on observe : à savoir des organisations, des fonctions et des acteurs.rices, des manières de faire qui ont pour volonté de travailler autrement en intégrant la reconnaissance de l'individu, les relations sociales, le plaisir au travail comme étant au centre d'une recherche d'une plus grande équité entre les participant.es ; l'objectif des acteur.rices est de mettre en œuvre des processus réflexifs et transversaux ou chaque individu à une place qui participe de l'émergence d'un agir en commun.
Si toutes les associations se trouvent marquées par une diversification des types de statuts de travailleurs qu'elles mobilisent il s'agit de montrer ici que les différents types de travailleurs (bénévolat, service civique, membres du conseil d'administration, salarié.es, ) ne sont pas si facile à déceler quand on étudie de près qui fait et dit quoi. Ici le consentement, l'adhésion à un projet en train de se faire et non déterminé au préalable sont portés par tous. Ainsi le niveau de la part de l'individu comme « individualités concrètes » (Bensa, 2006) autour d'une prise de part à la viabilité du monde des acteurs participant par leur travail ou leur bénévolat à la relocalisation agricole est fondamentale.
Le souci de soi et des autres, plantes et humains, tout comme les connaissances qui débordent de l'activité de travail quelle qu'en soit leur provenance (internet, documentaires, formations, conversations amicales ou de travail) nourrissent les acteurs dont ils font des « boîtes à penser », des référents avec lesquelles ils peuvent assurer des échanges et agir. Ces connaissances sont indissociablement présentes dans l'acte de travail ; ces univers ne sont pas des « à côtés du travail » mais en sont des parties prenantes. Ils sont souvent mis en discussion et en acte dans des agencements spécifiques aux organisations de travail. Ces agencements sont ouverts et non déterminés, ils permettent aux individus d'être attentifs à ce qui pourrait venir nourrir leur « je » dans leur relation aux autres au travail. L'intégration du hors-travail dans le travail est une variable indispensable à la compréhension des engagements individuels et collectifs et à la manière dont le collectif va prendre acte et part à la cause qui part de l'individu pour s'étendre à autrui dans des allers retours permanents (Zask, 2011). Ces agencements ont des spécificités dans les alternativités de relocalisation agricole.
Dans cette perspective, je m'intéresse tout particulièrement la construction progressive de procédures organisationnelles. Cette contribution active des individus participe de la viabilité de l'organisation qui a comme projet la démocratie alimentaire, tout en validant qu'il s'agit d'une réussite inachevée, toujours remis en cause. Je formule l'hypothèse que ce sont ces zones de contact (Haraway), qui restent à explorer sur un plan pragmatique, qui rende possible la participation contributive. Il s'agir alors de saisir les accords qui permettent à certains humains de contribuer par leurs actes de travail et/ou par leurs engagements bénévoles à la constitution d'univers péricapitalistes où la contribution est un atout majeur. Ces dimensions sont occultées et rendues invisibles si elles sont traitées par des catégories pré-construites. Ces univers sont constitués par une confiance des acteurs dans ce qu'ils font et pourquoi ils le font, individuellement et collectivement. Cette confiance en soi et dans l'autre, dans les raisons de l'action entreprise, n'est pas une donnée mais un construit. Ce que Donna Haraway met en perspective, c'est combien cette confiance suppose « d'entraînement, d'expérience, de recherche, (...) pour être «accordée», en entendant dans ce terme l'apparition d'une résonance mutuelle nouvelle. » Ce qui est indiqué ici c'est que les individus contribuent, par la prise de part dans les relations entre humains (et entre humains et non-humains,) à l'organisation dans lesquelles ils sont salariés ou bénévoles. L'étude des composantes pragmatiques de ces communautés permettent de saisir l'idée d'une remise en cause du travail et de certaines de ses modalités d'organisation, de ses raisons d'être sur le plan de l'assujettissement masculin ou féminin en fonction des cycles de vie et de sa mise en œuvre, de sa place dans l'existence individuelle. Les acteurs sont porteurs de réflexions sur la place du salaire par rapport à un principe premier, la qualité de vie ; l'usage de l'argent est pensé comme nécessité pour vivre et non pour s'enrichir. La recherche filmée montre la volonté de symétrie entre acteur.ices, entre les savoirs et l'image participe de la reconnaissance de celle-ci par sa diffusion.
Bibliographie
Bensa A., 2006, Bensa A., 2006, La fin de l'exotisme. Essais d'anthropologie critique, Anacharsis.
Haraway D., 2008, When Species Meet, Minneapolis, University of Minnesota Press, coll. Posthumanities.
Maurines B., 2019, Communauté de vie et de travail et agir commun local, HDR, 344 p + annexes. Université Paris 8.
Zask J., 2011, Participer essai sur les formes démocratiques de la participation. Le bord de l'eau Lormont : 200.