Urbanité et ambiance urbaine en images. Ce que le classement fait (dire) aux images du terrain.
Olivier Ocquidant  1, *@  
1 : Centre Max Weber
Université Jean Monnet - Saint-Etienne : centremax weber umr 5283
* : Auteur correspondant

Enquêter sur l'urbanité, requiert une attention aux interactions sociales qui prennent place dans l'espace public, mais aussi à ce que Isaac Joseph appelle une « écologie du sensible » dans la ville. L'articulation de ces deux dimensions constitue selon lui, une ethnographie de l'urbanité (Joseph, 1996). À première vue, l'image (photographique et vidéo) semble être un allié dans la captation du sensible dans la ville. Mais se pose la question de sa constitution en données de terrain. Comment une image devient-elle une ressource participant à l'enquête ? Faut-il considérer l'image comme un appui pour relater une expérience de terrain ? Ou bien constitue-t-elle un type de données à part entière à mobiliser dans un cadre spécifique ?

Ces questions d'ordres méthodologiques sont discutées dans la thèse que nous menons actuellement sur les composantes sensibles de l'urbanité dans la ville de Saint-Étienne. Nous réfléchirons ici à partir d'un corpus de photographies prises lors de marches exploratoires dans la ville, notamment au prisme des différentes tentatives de classement auquel il se prête. Quelles séries (ou ensembles) d'images se forment à partir de ce corpus ? Quels critères, catégories ou idées ces ensembles font-ils émerger ? Cette mise en circulation et en réseau des images leurs prête du sens. Elles ne sont plus seulement tautologiques, renvoyant aux seules situations photographiées, mais dans le rapprochement, elles prennent sens les unes par les autres (Didi Huberman, 1992 ; 2009).

Nous avons effectué trois classements différents comme trois agencements distincts de situations et de lieux urbains. Le premier est plutôt intuitif et regroupe des séries par analogies formelles et par thématiques déduites du contenu des images. Le second s'organise sur un critère tout autre, la présence des voitures (présence massive, discrète ou absence). Le troisième prend pour critère les épreuves et attachements auxquelles renvoient les situations photographiées (Hennion, 2009). Le croisement entre ces séries disparates est instructif à plus d'un titre. Par exemple, la catégorie « présence discrète de voitures », concorde souvent avec celle d' « attachement », mais déborde une autre catégorie (aussi liée à l'attachement), celle de « faubourg ». Du fait de ces déplacements, la catégorie « faubourg » ne relève plus seulement de la morphologie urbaine, mais d'une ambiance et d'un registre interactionnel qu'on retrouve jusque dans la ville centre. Également, la catégorie pressentie d' « intériorités urbaines », regroupe curieusement autant d'images liées à des épreuves qu'à des attachements. Elle révèle ainsi un registre d'« ambiance » particulier et une ambivalence qui semblent importants dans cette ville (Thibaud, 2015).

Le processus de classement (photographies imprimées en format 9x13 et (ré)agencées sur une grande table) se rapproche d'un montage et même d'une « écriture visuelle ». Apparaissent finalement des réseaux d'images qui désignent, sous forme d'hypothèses, des « actants » de l'urbanité, pouvant être discrets bien que structurants (Latour, Hermant, 1998). Les images, ensemble, esquissent une sorte de mise en récit ou en intrigue, qui s'avère être une forme d'enquête sur l'urbanité. Nous souhaitons présenter, à travers un corpus restreint de photographies, les effets de ce jeu de classements en montrant l'émergence de catégories autour de séries d'images, et en énonçant les réflexions qui émergent eu égard aux problématiques de l'urbanité.

Bibliographie

Cefaï D. (dir.) (2003) : L'enquête de terrain, Paris, La découverte.
Dewey J. (2005) : L'art comme expérience, Paris, Gallimard.
Didi Huberman G. (1992) : Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Minuit.
- (2009) : Quand les images prennent position. L'œil de l'histoire 1, Paris, Minuit.
Du M., Meyer M. (2008) : « Photographier les paysages sociaux urbains. Itinéraires visuels dans la ville », Ethnographiques.org, n°17, novembre 2008.
Hennion A. (2009) : « Réflexivités. L'activité de l'amateur », Réseaux, 2009/1, n°153, pp. 55-78.
Joseph I. (1996) : « Ariane ou l'opportunisme méthodique », Les annales de la recherche urbaine, Année 1996, 71, pp. 5-13.
Krase J. (2007) : « Visualisation du changement urbain », Sociétés, n°95, pp. 65-87.
Latour B., Hermant E. (1998) : Paris, ville invisible, Paris, La découverte / Les empêcheurs de penser en rond.
Lofland L. (1998) : The public realm. Exploring the city's quintessential social territory, Aldine de Gruyter.
Thibault J.P. (2015) : En quête d'ambiance. Explorer la ville en passant, Genève, Métispresses.
Tonnelat S., Kornblum W. (2018) : International Express. New Yorkers on the 7 train, New York, Columbia University Press.


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