« Des gens comme ça, on n'en voit pas souvent dans les films sur le travail ». Les classements de la sociologie à l'épreuve de l'image
Pierre Fournier  1, *@  , Pascal Cesaro  2, *@  
1 : Laboratoire méditerranéen de sociologie
CNRS : UMR7305, Aix-Marseille Université - AMU
LAMES - M.M.S.H. 5 Rue du Château de l'Horloge - BP BP647 13094 AIX EN PROVENCE CEDEX 2 -  France
2 : Perception, représentations, image, Son et musique  (PRISM)  -  Site web
Aix-Marseille Université - AMU, CNRS : FRE2006
CNRS-PRISM 31 Chemin Joseph Aiguier 13402 Marseille Cedex 20 -  France
* : Auteur correspondant

Dans une recherche visant à cerner les expériences de vie à la proximité d'un centre nucléaire, chez ceux qui y travaillent comme chez ceux qui n'y travaillent pas, on a utilisé des entretiens d'un type particulier pour contourner des situations de « parole empêchée », de parole rendue difficile par le débat public qui clive très fortement les positions sur le sujet polémique du nucléaire. L'intention est d'éviter le risque de recueillir chez les enquêtés des prises de position abstraites, qui sont très éloignées de ce qui oriente véritablement leur action mais qu'ils formulent pour tenir compte de ce qu'ils pensent être attendu par le chercheur. On a eu recours à un dispositif de vidéo-élicitation, c'est-à-dire de recueil de paroles suscitées par le visionnage de 20 mn d'images d'un feuilleton présentant les aventures romanesques des membres d'une équipe travaillant dans cet univers et résidant à proximité. Et on a filmé ces entretiens pour réaliser un documentaire interactif autour de cette démarche en train de s'expérimenter.

Le dispositif invite les enquêtés à centrer leur propos sur leurs pratiques ordinaires en réaction aux conduites des personnages du feuilleton. Il produit du même coup un effet de soutien à la prise de parole pour des personnes de milieux populaires. C'est l'occasion d'interroger ce qui conduit les media à écarter si souvent ces milieux sociaux des écrans (cf. Acrimed) : leur parole hésitante au contact de milieux sociaux plus élevés en font de « mauvais clients » pour les documentaristes, tout comme leur hexis corporelle (soin du corps, gestes, posture, démarche) et l'attention à la mise en scène vestimentaire, qui sont immédiatement perceptibles comme non conformes aux habitudes des téléspectateurs formés au visionnage du journal télévisé. Ce qui condamne les milieux populaires à être écartés de l'écran, ce sont donc moins leurs propriétés sociales, que l'écrit journalistique et scientifique mobilise volontiers en utilisant les catégories de classement de la statistique administrative et de la sociologie, que les éléments d'apparence, de soin à soi et à son environnement immédiat qui sont immédiatement visibles et inséparables de l'image de la personne. A fortiori si on y ajoute des images des lieux de vie en fond de ces portraits. On prendra l'exemple d'un technicien rencontré à l'occasion de cette recherche pour le souligner, en le comparant, images à l'appui, à des membres d'autres milieux sociaux.


Personnes connectées : 9